théâtre


Comment Beckett a mystifié les critiques d’En attendant Godot .


Pour composer En attendant Godot, l'auteur s'est servi dans l'œuvre d'autres écrivains à qui il a emprunté idées et personnages. Et ceci explique bien des mystères relativement à ses déclarations.
Après une première tentative, Eleutheria, manifestement influencée par Victor ou Les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac et dont il refusera qu’elle soit publiée, en octobre de la même année 1947, Samuel Beckett se lance dans l'écriture d'une pièce beaucoup plus complexe, caractérisée par la fusion de plusieurs sources : En attendant Godot.
À cette occasion, Samuel Beckett renoue avec une stratégie qu'il utilisait quand il s'exerçait au métier d'écrivain :

Ses carnets montrent qu'il a lui aussi pillé les ouvrages qu'il lisait ou étudiait en y prélevant quantité d'éléments refondus ensuite au moyen de l'écriture […] le procédé n'est pas si loin de la greffe et il le pousse parfois à l'extrême. Il va jusqu'à cocher dans ses cahiers les formules qu'il vient d'intégrer au texte sur lequel il travaille (1) 1.James Knowlson, Beckett, Solin/Actes Sud, 1999, p. 155. […] Plus que jamais, il dévore les livres en cherchant ce qu'il pourrait tirer des autres écrivains (2) 2.Ibid., p. 226. .

En attendant Godot est le résultat de cette politique. Outre un grand nombre de références secondaires, la pièce est construite autour de de quatre œuvres essentielles.
L'homme de minuit de Francis Carco, paru en 1938, est la plus importante. Ce roman met en scène deux clowns professionnels, l'un scrupuleux comme Vladimir ; l'autre amoral comme Estragon. Ce dernier rend son partenaire complice d'un crime qu'il commet et qui fait qu'ils sont traqués par la police. Dans les dernières pages du livre, avant leur arrestation, ils triomphent dans un numéro de clowns qui est une métaphore de la vie et dans lequel un chapeau melon joue un rôle essentiel (3) 3.Gérard Piacentini : « En attendant Godot : Vladimir et Estragon échappés d’un roman de Francis Carco » .

Faire « dire » le monde par des clowns a été un élément déterminant du succès d’En attendant Godot. Lors de la création, plusieurs critiques font référence à Charlot ou aux clowns (4) 4.Les références à Charlot figurent dans les critiques de Max Favalelli dans Paris-Presse l'Intransigeant du 6-01-53, de Jacques Audiberti dans Arts du 16-01-53, d'André Engelhard dans Réforme du 16-01-53. , le titre le plus poétique étant « En attendant Godot ou les hommes clowns dans la piste de la vie (5) 5. André Ransan, Le matin le Pays, 7 janvier 1953 », le plus connu, « Godot ou le sketch des Pensées de Pascal traité par les Fratellini (6) 6. Jean Anouilh, Arts, 27 février-5 mars 1953 ».
L’impact de la pièce, probablement inattendu pour Beckett - il y eut une émeute au théâtre, causée par des spectateurs profondément scandalisés et choqués par l'épisode du discours de Lucky - va lui poser un problème. Ce retentissement pourrait raviver le souvenir du roman paru quinze ans plus tôt, ce qui serait d'autant plus gênant que Francis Carco, l'auteur le plus lu de l'avant-guerre, est encore vivant.
De plus, Beckett ne s'est pas contenté de reprendre l'idée des clowns, mais il s’est également inspiré des personnages du roman pour créer Vladimir et Estragon. Si l'on venait à identifier cette origine, le succès qu’il connaît enfin serait entaché, peut-être même compromis, bien qu'une accusation de plagiat ne puisse probablement pas être retenue, les idées n'étant pas brevetées. Mais il serait amené à expliquer en quoi son œuvre est originale, ce qui serait contraire à sa volonté de protéger le secret de sa création.
De La Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert (7) 7. Voir : Gérard Piacentini : En attendant Godot et La Tentation de Saint Antoine , Samuel Beckett s'est inspiré pour le décor de la pièce, pour des procédés stylistiques ainsi que pour un couple de personnages largement revus pour créer Pozzo et Lucky.
Le roman de Flaubert se déroule sur une plate-forme située sur le sommet d'une montagne et sur lequel il y a un seul arbre, un palmier. Cet endroit est défini comme le lieu de l'imaginaire car, durant une nuit, Antoine est envahi par des visions qui lui font miroiter luxure, puissance, connaissance, les sept péchés capitaux. Dans En attendant Godot, ce lieu de l’imaginaire est transformé en le « monde de l'arbre » auprès duquel les deux amis attendent Godot. Dans cet endroit, agir sur le symbole, c'est agir sur la chose même : Pozzo piétine le chapeau de Lucky et celui-ci devient muet, Pozzo perd sa montre et en même temps, la notion du temps puisque, à l'acte 2, on le retrouve errant dans l'éternité.
Plusieurs épisodes de la pièce ont leur origine dans le roman : par exemple, Vladimir, comme Antoine, veut anéantir son esprit en devenant un bête. Antoine devient Nabuchodonosor, se met à quatre pattes et meugle comme un taureau (8) 8.Ibid., p. 43. tandis que Vladimir veut devenir Lucky qui évoluerait comme une bête de somme sous les ordres d'Estragon jouant à être Pozzo.
Les épisodes qui mettent en scène Pozzo et Lucky sont inspirés des chapitres du roman dans lesquels apparaissent d'une part, Simon le magicien et Ennoïa, et d'autre part, Apollonius et Damis. L'épisode le plus célèbre d'En attendant Godot, celui du discours de Lucky, a son origine dans l'épisode de la rencontre d'Antoine avec Simon le magicien et Ennoïa-Hélène. Dans le roman, Simon présente Ennoïa-Hélène (Ennoïa : en grec la Pensée), une sorte de principe féminin, qui reste « fort longtemps sans parler, sans manger (…) puis se réveille et débite des choses merveilleuses (9) 9.Ibid., p. 134. ». Simon ordonne à Ennoïa de parler :

Ennoïa! Ennoïa ! Ennoïa ! Raconte ce que tu as à dire.

Ennoïa commence à vaticiner et Antoine comprend qu'elle est folle :

Antoine se touchant le front. - Ah ! Ah ! Je comprends! La tête!

Beckett transpose. Comme Ennoïa, Lucky ne mange pas et reste silencieux jusqu'à ce que Pozzo lui ordonne de penser (10) 10.Dans les grande pièces de Beckett, chaque personnage incarne une philosophie. Lucky et Pozzo sont stoïciens. Pour comprendre le sens de cette scène, il faut se souvenir que, dans le stoïcisme, la dignité de l'homme réside dans la pensée. Niant la dignité de Lucky en donnant en spectacle la déchéance de son maître à penser, Pozzo nie sa propre dignité. Cf. Gérard Piacentini, « le référent philosophique comme caractère du personnage dans le théâtre de Samuel Beckett » Revue d'histoire du théâtre , n°4, 1990 ; consultable sur mon site consacré à Beckett. : « Hue ! Pense ! » Lucky se lance alors dans une délirante parodie de l'histoire de la philosophie qui commence avec Descartes et finit en apothéose hallucinée avec Heidegger ; s'y mêle également un jugement critique sur la poésie moderne et une condamnation du blabla contemporain généralisé. Le discours se termine avec le terme « la tête », répété à plusieurs reprises : « la tête la tête », « la tête hélas ».
Un autre épisode remarquable, le poème des feuilles, « le passage le plus lyrique, le plus parfaitement écrit de la pièce (11) 11. Martin Esslin, Le Théâtre de l'absurde, Buchet/Chastel, 1963, pp. 56-57. » a également son origine dans La Tentation de saint Antoine. Antoine est effrayé à l'idée du néant :

Comment – mes oraisons, mes sanglots, les souffrances de ma chair, les transports de mon ardeur, tout cela ce serait allé vers un mensonge... dans l'espace... inutilement – comme un cri d'oiseau, comme un tourbillon de feuilles mortes !

Beckett reprend l'interrogation sur le manque de sens de la vie ainsi que les images de l'oiseau et du tourbillon de feuilles mortes dans un poème à deux voix :

Estragon. - Toutes les voix mortes.
Vladimir. - Ça fait un bruit d'ailes.
Estragon. - De feuilles.
Vladimir. - De sable.
Estragon. – De feuilles.
(…)
Vladimir. - Que disent-elles ?
Estragon. - Elles parlent de leur vie.
Vladimir. - Il ne leur suffit pas d'avoir vécu.
Estragon. - Il faut qu’elles en parlent.
Vladimir. - Il ne leur suffit pas d'être mortes.
(…)
Vladimir. - Ça fait comme un bruit de plumes.
Estragon. - De feuilles.
Vladimir. - De cendre.
Estragon.- De feuilles.

Un « Godot » se trouve dans deux œuvres. Un premier Godeau, Fermier Général richissime et obèse, allongé sur un canapé dans un salon entièrement doré où il réfléchit à la meilleure manière d'augmenter sa fortune déjà immense, a été créé par Musset dans un conte, « Croisilles ». Ce Fermier Général a une fille, la belle Julie Godeau, qui « attend ». Un second Godeau se trouve dans la pièce de Balzac, Le Faiseur , contemporaine du conte de Musset, et dans laquelle un agioteur fait fortune en faisant espérer aux naïfs que le retour de son ancien associé, parti avec la caisse, va faire monter la bourse. À la fin de la pièce, Godeau revient vraiment et Mercadet, le héros, annonce, « Allons attendre Godeau ! (12) 12. Beckett aurait déclaré, selon l'article consacré à Waiting for Godot dans Wikipedia anglais, qu'il n'avait découvert la pièce de Balzac qu'après avoir terminé En attendant Godot. Mais Beckett connaissait Musset comme on peut le comprendre dans son Proust. Si l'on tient pour fondée la déclaration de Beckett, cela signifie que c'est le conte de Musset qui a inspiré le personnage. Mais ici, Beckett ne joue-t-il pas à cache-cache? »
Les réticences de Beckett à donner la moindre explication deviennent alors compréhensibles si l'on réalise qu'il entend cacher ses sources. Dès 1952, dans une lettre à Michel Polac, à l'occasion d'une diffusion à la radio d'une version abrégée de la pièce, il affirme son incapacité à fournir des éclaircissements :

Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui qui arrive à la lire avec attention. Je ne sais pas dans quel esprit je l'ai écrite. Je ne sais pas plus sur les personnages que ce qu'ils disent, ce qu'ils font et ce qui leur arrive. De leur aspect, j'ai dû indiquer le peu que j'ai pu entrevoir. Les chapeaux melon par exemple. Je ne sais pas qui est Godot. Je ne sais même pas, surtout pas, s'il existe. Et je ne sais pas s'ils y croient ou non, les deux qui attendent. […] Tout ce que j'ai pu savoir, je l'ai montré (12) 12.En attendant Godot , quatrième de couverture, 2012. ».

En septembre 1955, un article paru dans Le Figaro littéraire connaît une grand retentissement : « Balzac a-t-il inspiré En attendant Godot (13) 13. Suzanne Aron, « Balzac a-t-il inspiré En attendant Godot ? », Figaro littéraire , 17 septembre 1955. ? » De célèbres critiques s'en font l'écho : dès 1956, Eric Bentley dans What is theater (14) 14. Boston, Beacon Press, 1956, p. 158. ? puis Martin Esslin en 1961 dans The Theater of the absurd (15) 15. Garden City Doubleday, 1961, p. 16-17. . Beckett comprend la nécessité d'allumer des contre-feux pour couper court à la curiosité. Pour détourner l'attention, il ne manque pas de cartouches. Quand il écrit, il est « en transe (16) 16."Beckett has often stressed the strong unconscious impulses that partly control his writing; he has even spoken of being 'in a trance' when he writes." Mercier, V., Beckett/Beckett, London: Souvenir Press, 1990, p. 87, cité dans l'article Wikipedia anglais. », ce qui est bien commode pour éluder les questions, ou bien il renvoie le questionneur à une autre de ses œuvres - Murphy - qui serait une clé pour l'œuvre présente (17) 17.James Knowlson, p. 485. ... Et ainsi Beckett réalise un doublé : il se débarrasse de l’importun - Colin Duckworth - qui, reprenant cette déclaration dans son ouvrage critique, propage cette fausse révélation (18) 18. Colin Duckworth a écrit la première étude critique introductive à une édition d'En attendant Godot, chez Harraps, en Mars 1966. Cette édition d'En attendant Godot a connu de nombreuses ré-éditions : la dixième en 1982. . Mais Beckett comprend bien que ces manœuvres de diversion sont insuffisantes et qu'il lui faut frapper un grand coup. Ce qu'il fait avec l'interprétation qu'il donne de « Godot ».
« Godot », ce non-personnage, ne devait rien à Balzac. En fait, c'était le patronyme d'un coureur cycliste. Ayant vu des gens attendre au bord d'un trottoir, il les avait questionnés sur le motif de cette attente. C'est ainsi qu'il avait appris qu’une course cycliste avait lieu et qu'un coureur du nom de Godeau arrivait après tous les autres, du fait de son âge avancé. C'était ce lamentable champion que ces gens attendaient de voir passer...
Cette explication était tellement tirée par les cheveux qu'on ne la mit pas en doute, d'autant que Samuel Beckett se porta garant auprès d'un critique anglais de l'existence d'un coureur cycliste nommé Godeau :

Hugh Kenner, (Samuel Beckett, Grove, 1961) ingeniously connects the name with his theory of the « Cartesian Centaur » by referring to a French racing cyclist whose name is Godeau ; Kenner has Beckett’s authority for his association, at least to this extent : « It may calm the skeptical reader to know that my knowledge of this man comes from Mr. Beckett (19) 19. Melvin J. Friedman, « Crritic! » Modern Drama , 3, (1966), (pp. 300-308), p. 305. . »

La contre-attaque se solda par un succès total. Dans un ouvrage consacré à Samuel Beckett, le professeur Pierre Mélèse, éminent spécialiste du théâtre, repousse avec dédain les insinuations qui font de Beckett un obligé de Balzac :

Certains ont rapproché ce nom et la situation générale d’un nom et d’une situation approximativement analogue dans une comédie de Balzac, publiée en 1851, Mercadet… Beckett tributaire, et même plagiaire de Balzac, ce n’est pas sérieux (20) 20. Pierre Mélèse, Samuel Beckett , Seghers, 1966, p. 26. .

Par ailleurs, Beckett sait très bien se servir de ses yeux pâles pour impressionner ses interlocuteurs :

A notre toute première rencontre, j’ai demandé à Sam qui ou quoi était Godot, mais - heureusement - pas quelle en était la signification et il m’a répondu, après un moment de réflexion visible dans les profondeurs de ses yeux bleu-gris, que s’il l’avait su, il l’aurait dit dans sa pièce (21) 21. Alan Schneider, « Comme il vous plaira » in Samuel Beckett, ed. Tom Bishop et Raymond Federman, Paris, L'Herne, 1976, (pp. 75-102), p. 85. .

En mai 2000, je décidais de tirer au clair cette histoire de coureur cycliste.
La Fédération Française de cyclisme, que j’avais contactée, m'orienta vers une association d'anciens coureurs dont le Secrétaire Général m'annonça d'emblée, quand je lui fis part de ma demande de renseignements concernant un coureur cycliste nommé Godot : « J'ai sous les yeux sa notice nécrologique! » Roger Godeau venait de mourir brutalement, un mois auparavant, au cours d'une sortie à vélo. Lorsque je dis à ce monsieur qu'un auteur dramatique avait titré une pièce de théâtre à partir de ce coureur car, âgé, il se faisait attendre et arrivait longtemps après les autres, mon interlocuteur fut outré : « Godeau était un grand champion. Il était devant et c'étaient les autres qui étaient derrière ! » Comme il me demandait qui avait dit ça, je répondis que c'était un auteur du nom de Samuel Beckett pour une pièce dont le titre était En attendant Godot. Ce qui m'attira la réplique : « Beckett a dit ça ? » Mon interlocuteur le connaissait. Après avoir pris sa retraite de coureur cycliste professionnel, il avait été régisseur de théâtre et avait travaillé lors de la reprise d'En attendant Godot .
Roger Godeau ne courait que dans un vélodrome, ce que l'écrivain manifestement ignorait. Ce grand champion qui, quand Beckett écrit En attendant Godot , n'a pas plus de vingt-sept ans, est loin d'avoir obtenu ses plus grands succès. Aussi, la déclaration de Beckett selon laquelle il avait vu des gens attendre le passage de Godeau au bord d'un trottoir peut être considérée avec un immense scepticisme (22) 22. Le grand moment de la carrière de Roger Godeau s'est située, selon mon interlocuteur, à l'automne 1954, quand il a remporté les « Six jours de Paris », l'équivalent du Tour de France pour les coureurs sur piste. C'est très probablement à l'occasion de cet événement couvert par la radio que Beckett a entendu parler de ce sportif. . ...
Sans doute désireux de faire disparaître l'origine de sa pièce dans les oubliettes, Beckett ne s'en est pas tenu à ce canular, mais c'est un trait de son caractère que d'en faire trop, à tel point que son biographe en vient à relever des détails troublants.
Beckett a laissé entendre que cette origine se situait dans une peinture de Caspar David Friedrich, ce qui est cause d'étonnement pour James Knowlson qui note, quand il rapporte la visite de Beckett au Kunsthalle de Hambourg, lors de son voyage de 1937, en Allemagne, que s'il admire énormément les Hollandais et les Flamands :

Les romantiques allemands (…) lui inspirent surtout du dégoût (23) 23. Knowlson, pp. 312. . La douzaine de toiles de Caspar David Friedrich exposées au musée ne lui inspire aucun commentaire, ce qui est assez étonnant étant donné l'admiration éperdue qu'il vouera plus tard à cet artiste (23) 23. Knowlson, pp. 312. En revanche, à l'Alte Akademie, Beckett remarque les deux hommes de Caspar David Friedrich dont il déclare que « c'est le seul genre de romantisme qui reste supportable, le bémolisé » (14 février 1937), p. 336. On est loin de l'admiration manifestée pour les Hollandais et les Flamands. Mais Beckett se souviendra de cette toile pour ses propres mises en scène d'En attendant Godot . .

Visitant une exposition de peinture à Berlin, en 1975, avec l'universitaire Ruby Cohn, prolifique auteur d'études sur Beckett, devant une toile de Caspar David Friedrich, l'écrivain lui confie que c'était cette toile qui lui avait donné l'idée d'En attendant Godot :

« C'est la source d'En attendant Godot, tu sais » lui déclara Beckett alors qu'ils regardaient ensemble un tableau de 1824, Un homme et une femme contemplant la lune (24) 24. Ibid., p. 485. Ruby Cohn a confirmé cette déclaration en 1994 (note 103, p. 976). .

James Knowlson remarque :

Mais peut-être a-t-il confondu ce nocturne avec un autre. En d'autres occasions, en effet, il mentionna à ses amis les Deux hommes contemplant la lune de 1819. [...] Quoi qu'il en soit, le tableau de Berlin en est si proche par sa composition que sa remarque de 1975 peut tout à fait s'appliquer à ces deux œuvres (25) 25. Ibid., p. 485. .

Or, non seulement Beckett a « une mémoire visuelle exceptionnelle, quasi photographique (26) 26.Id., p.313. », mais ses compétences en peinture sont si remarquables qu'elles lui ont ouvert un cercle de collectionneurs, lors de son voyage en Allemagne. Peggy Guggenheim, dans Ma vie et mes folies (27) 27.Out of this century. Confessions of an art addict. Universe book, New York, 1946, 1960, 1979. Traduction française : Ma vie et mes , Perrin, 2004. , témoigne combien il est passionnant de visiter une exposition avec lui et il est admis que c’est sous l’influence de Beckett qu’elle a changé d’avis et collectionné la peinture moderne au lieu de la peinture classique, ce qui était son projet initial. Peut-on penser qu'un tel connaisseur puisse confondre deux tableaux, mêmes proches, alors qu'il devrait à l'un d'avoir eu l'idée de la pièce qui l'a rendu mondialement célèbre ? En fait, il adapte son discours aux circonstances et aux interlocuteurs pour faire entendre la fable qu'il veut répandre.
Et il sait être parfaitement convaincant quand il raconte à chacun une histoire différente, si bien que tous pensent être les dépositaires de confidences exclusives...
Chapeau l'artiste !





mis en ligne le 18 janvier 2018